Mon regard plane sur les étendues verdoyantes d'IssCaNak.
Le printemps n'est plus loin.
La poigne glacée de l'hiver se desserre déjà légèrement.
Cela a suffit pour que la vie – cette acharnée – reprenne ses droits.
Morne, j'observe le retour de cette profusion de couleurs, de sons et d'odeurs.
Tout cela m'indiffère à un point que cela en est presque douloureux.
J'embrasse à nouveau du regard la perfection du paysage, espérant ressentir quelque chose...
Un sentiment d'apaisement, de félicité, un instant d'émerveillement muet devant tant de beauté, une pointe de jalousie face à la puissance de la nature, une envie de destruction...
Je ne sais pas moi!
Mais quelque chose!
Tout plutôt que ce vide qui m'étouffe, que cette indifférence glacée qui m'entoure.
Depuis quelques temps, j'ai l'impression de regarder mon existence à travers les yeux d'un observateur extérieur.
Spectateur de ma propre vie.
Je suis las.
Encore aujourd'hui, j'ai visité les tréfonds de la mort.
Je commence à connaitre le quartier et ces environs comme ma poche...
Mes visites s'y succèdent à un rythme effréné.
Mais ce n'est pas à cause de cette indicible lassitude qui me ronge.
Ca en est plutôt la conséquence.
Je n'ai en effet plus aucune raison de me targuer de mes réflexes.
Quand un ennemi vient, je me contente de le regarder approcher, attendant de voir – pas plus intéressé que ça – si sa frappe suffira à me renvoyer d'où je viens.
Parfois je tente tout de même, sans grande conviction, de riposter, histoire de faire bonne figure.
Mais le coeur n'y est plus.
Et l'habilité encore moins!
A la suite de ces duels – si l'ont peut appeler ainsi ces simulacres de combat – je reprends souvent conscience, hébété, dans un lieu que je ne connais que trop bien.
J'ai perdu tout goût à l'existence en ces terres.
Elles n'ont plus aucune saveur.
Ma combattivité m'a quitté.
Ma motivation également.
Que me reste-t-il encore?
Rien n'a d'importance.
Tout est plat.
Tout est vide.
Je ne ressens plus rien.
Juste cet abîme sans fond dans mon coeur.
Un abîme si profond que je me surprends même à accueillir la douleur avec joie.
Enfin quelque chose pour me sortir de ma torpeur.
Et tant pis si elle me conduit vers le Gardien.
La souffrance n'en sera qu'accrue.
Les sensations que j'éprouverai n'en seront que plus pointues.
Elles n'en seront que plus délicieuses.
Pour un temps du moins.
Avant qu'elles me quittent, que je reprenne le chemin de la surface et que la léthargie ne me reprenne.
La vie ne m'apporte plus rien.
Qu'est devenue mon excitation lors de la chasse nocturne d'une proie malencontreuse ou lors d'un duel quand je savais qu'une défaite m'apporterait une mort que je refusais à tout prix?
Elle a déserté mon être.
Comme les autres.
Comme la tension avant le combat, comme la peur lorsque je sentais la mort approcher, comme la satisfaction face à un ennemi vaincu, comme la fraternité que j'entretenais avec les miens, comme l'espoir d'une victoire et l'exultation lors de sa concrétisation, comme l'attirance que j'éprouvais envers elle...
Cette dernière pensée éveille une vague sensation au fin fond de mon être.
Comme un souvenir de jadis, oublié depuis longtemps, émergeant des brumes du souvenir.
J'ai tôt fait de balayer ce désagréable sentiment de culpabilité qui m'effleure.
La vide reprend sa place.
Je l'accueille comme un soulagement.
On s'habitue à tout.
Et c'est à l'oubli que j'aspire aujourd'hui.
J'ai assez donné.
Ou trop reçu peut-être.
Ma décision est prise.
Plus rien ne me retient.
Mes ennemis trouveront bien un autre exutoire à leurs pulsions.
Mes alliés?
Il n'en reste rien.
Et elle?
Je ne sais pas...
Elle m'oubliera vite.
Elle l'a déjà sûrement fait.
Mais l'infime espoir que ce ne soit pas le cas s'est insinué en moi.
Et je me vois contraint d'abandonner l'idée – séduisante – de séjourner pour l'éternité avec ma vieille compagne la douleur dans le royaume des morts.
J'opte pour une autre solution qui m'emmènera tout aussi loin du monde des vivants et me rendra tout aussi intime avec la souffrance.
Cette souffrance qui me comblera.
Une solution un rien moins définitive peut-être.
Me laissant toujours une possibilité de demi-tour.
De retour vers la vie.
Je tourne le dos aux Terres des Éléments comme on a coutume de les nommer et m'enfonce vers les profondeurs de la terre.
Je ne jette pas un regard en arrière.
Et je doute que je ne revienne jamais à la rencontre de ce que j'ai quitté.
Sujet: Toutes les bonnes choses en ont une... 
Ven 19 Fév - 22:13
