Nuit d'encre

Comme un homme aveugle jeté dehors, je marche sans raison.
Comme une tristesse qui m'empêche simplement de penser à autre chose.
Une envie de fermer les yeux, pour ne pas voir ma déchéance et la leur.
Je les ouvrirai au bon moment pour dire adieu.
La mort, le combat jusqu'au dernier souffle.
Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. Ils vont en avoir la preuve.
Mes cicatrices d'hier sont toujours visibles, un horrible souvenir qui me torture l'esprit.

A travers l'espace noir, je cours et fait face à la peur qui naît en moi.
Je ne suis plus très loin maintenant... Non, je ne vis plus ici. J'ai encore du mal à m'y faire.
Mais pourquoi ? Je n'ai plus besoin d'eux, je n'ai plus besoin de personne.
Pourquoi ma respiration s'accélère t-elle quand la chaleur augmente ?
Pourquoi mes lèvres tremblent-elles quand je regarde dans la direction de la Porte ?

...

La nuit est noire, pas une lumière, semblable à mon regard.
D'un seul coup je sens la rage monter en moi. Mes paupières tombent et je vois leurs visages, mes anciens frères.
Je peux voir dans leurs yeux qu'ils sont déjà morts... De l'intérieur.
Mais quant à l'extérieur... Je vais prendre leur foutues têtes.
Ne pas hésiter, éradiquer.

...

Il faut que je me calme.
Sur le flanc d'une colline, non loin du grand Palais, il y a une grotte. Il me faut récupérer, mes forces vont revenir, mais en attendant...
Je m'assied contre le mur, mon dos contre la pierre froide.
Cette tranquillité me fera du bien, dormir aussi.

Il paraît que le vide est une maladie.
Il paraît même que ça s'attrape.
J'ai découvert moi qu'il y a plusieurs formes de vide.
Je ne sais pas combien de temps j'ai dormi mais à mon réveil j'étais différente.
Vide.
Et pire encore, je voyais leur vide à eux.
Et je savais...
Eux ne savaient pas. Ou ils s'en foutaient peut-être.
Moi pas.
Là était toute la différence.

Je reviens d'une journée à la surface, harassée.
Je n'ai tué personne.
Personne ne m'a tuée.
Et pourtant l'épuisement me tire les membres vers le bas, m'alourdit le pas, les paupières et le coeur. Le vide est lourd, on ne dirait pas, mais c'est vrai.
J'ai passé la Porte sans la voir, je descends la grande allée qui mène à la Cité et au Palais. Je ne trébuche pas, les dalles sont lisses. Je dépasse la petite maison sombre ou j'ai vécu mon temps d'isolement et de démence. C'est si loin...

Je continue ma route et je ne regarde rien. Il ny a rien à voir que je ne connaisse déjà trop bien. Les détours du chemin ouvrent les horizons de pierre noire, un horizon après l'autre, trop proche et immobile. Je sais quand un virage m'ouvrira les yeux sur l'immensité splendide et désolée de l'Empire. Peut-être que ça me fera quelque chose. Peut-être que ça ne peut plus rien me faire à présent.

Le mouvement m'attire l'attention. Un mouvement là où rien ne bouge d'habitude. Près d'un recoin de roche où s'ouvre une caverne. Je la connais. Je m'y suis cachée, souvent, quand je me cachais de tous et de moi-même.

Je fronce les sourcils.
Les Gardiens font bien leur travail, nul ennemi des EnferS n'entre ici.
Qui donc se cache dans la caverne ?
Et de qui se cacher ?
Et pourquoi ?

J'hésite.
Ceux qui cherchent la solitude ont le droit à ce qu'on la respecte.
C'est ce que j'attends pour moi-même, c'est donc ce que je ne peux refuser aux autres...
Mais je suis faillible, comme tout le monde. Comme les Gardiens, peut-être. Si c'était une menace, là, dans cette grotte ?

Je soupire, un long soupir silencieux.
Puis je tire une dague.
Je fais encore partie de la Garde, c'est mon travail.
Je dois le faire.

Je quitte la route dallée et grimpe dans les rochers noirs. C'est facile. Je les connais, ils me connaissent. Je pourrais ne faire aucun bruit et le surprendre, mais je ne veux pas. Qu'il entende. Qu'il soit prêt. Les minutes sont longues, je ne me presse pas.

L'entrée de la grotte est devant moi et je vois sa silhouette. Il est adossé à la paroi, étrange, à la même place où je m'asseyais, de là on voir l'entrée et les feux pleins d'or et de pourpre au loin. Je ne vois pas son visage, mais je le reconnais.
Je les connais tous.
Il est le dernier que je m'attendais à trouver ici...

J'avance lentement, je range la dague.
Plus loin dans la grotte, l'espace s'ouvre un peu, la lumière de l'entrée tombera à nouveau sur ses traits. Quelques pas, et je saurai. Pas qui il est, ça je le sais déjà. Mais ce qui l'a amené ici, peut-être.

Les paupières toujours closes, j'entends un bruit, quelqu'un approche, c'est forcément l'un d'eux.
Ca tombe mal, je n'avais pas envie d'etre dérangé.
J'ouvre lentement un oeil et sa silhouette se dessine devant l'entrée.
Féminine et athlétique, celle qui a été choisie pour compléter la garde de l'Impératrice, mon égale...

A t-elle été envoyée pour venir me chercher ?
Si c'est le cas je vais bien m'amuser.

Je l'avais toujours sue différente des autres.
Après tout, peut-etre que je me trompe, peut-etre est-elle là pour des raisons semblables aux miennes.
Venue pour annihiler ce qui reste de mes croyances en l'empire ?
Une synthèse de terreur et de tromperie. Cette bataille n'est plus la même qu'ils ont mené.

Ont-ils vraiment perdu tout espoir ? Depuis quand les élus ont-ils besoin de tout ça ?
Si elle le sait, son sang de salira pas les murs. Et puis meme, je ne suis plus sur d'en avoir envie...

Tu t'es égarée ?

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